Les peintres ont-ils peur de la photographie?

Avec tous les nouveaux supports et procédés issus des technologies les plus récentes, la photographie, comme médium, est en train d’opérer une véritable révolution copernicienne.

Fille du progrès depuis plus de cent cinquante ans, elle retrouve, non seulement son droit de citer, mais aussi ses lettres de noblesse, faisant du même coup ombrage à la peinture, qui se targuait, jusque-là, d’être la fille unique de la poésie.
Elle n’est plus seulement cette «humble servante» qui ne reproduisait (théorie du réalisme aidant) que des portraits façon Guyze (*) ou des paysages tunisiens en cartes postales. Elle ne sert plus de simple illustration aux seuls articles de journaux ni ne supplée uniquement et comme mémoire précise et précieuse du temps passé dans les albums et autres supports d’archives contre l’oubli.
La photographie est aujourd’hui partout, du matin au soir et du soir au matin. Son omniprésence va du simple appareil à déclic au portable, en passant par toutes ces nouvelles caméras dans le vent du numérique qui vous donnent des images époustouflantes de progrès réalisé et de cette magie poétique profonde qu’envient nos peintres.
Les grandes chaînes de télévision, surtout, avec la richesse de moyens d’information et de diffusion qu’elles nous offrent, de quelque coin perdu de la planète, utilisent d’abord, et avant tout, l’image. Celle-ci occupe, en effet, une place considérable tant sur le plan quantitatif que qualitatif.
Les films photographiques sont au service du multiple à telle enseigne que dans le seul domaine des affiches (très grands formats et new-look), l’obéissance souvent involontaire des foules qui les regardent dans la capitale ou même sur les autoroutes, tend de plus en plus à l’indulgence et même à la normalité des choses à consommer.
Ceci sans oublier bien sûr les artistes-photographes, Tunisiens, d’ailleurs, et de la génération montante qui utilisent leurs appareils comme de véritables pinceaux grâce au truchement de l’ordinateur qui leur sert de véritable toile. Dès lors, c’est le règne de la peinture virtuelle dans tous les styles passés, présents et même futurs, puisque Dame Nature n’est plus dans les champs ou au bord de mer, mais «any where out of the world» (n’importe où hors du monde) comme le souhaitait si fortement Charles Baudelaire. Charles Baudelaire qui était l’ami de Nadar, l’un des photographes-portraitistes les plus célèbres de Paris et qui s’était sans doute trompé sur le rôle et l’avenir de ce médium, dans ses «Curiosités esthétiques». Avait-il subi quelque influence pernicieuse de la part de Delacroix son peintre idéal, au point qu’il n’avait pu prévoir que la photographie pourrait devenir réellement un art, à part entière? Voici ce qu’il affirme dans ces mêmes «Curiosités» : «L’observateur de bonne foi affirmera-t-il que l’invasion de la photographie et la grande folie industrielle (nous sommes au XIXe siècle) sont tout à fait étrangères à ce résultat déplorable? Est-il permis de supposer qu’un peuple dont les yeux s’accoutument à considérer les résultats d’une science matérielle comme les produits du beau, n’a pas singulièrement au bout d’un certain temps, diminué la faculté de juger et de sentir ce qu’il y a de plus éthéré et de plus immatériel».
En vérité, la photographie n’a jamais supplanté la peinture, dans nos murs. Les peintres se servent d’elle de plus en plus soit par manque d’imagination soit par emprunt pour des démarches nouvelles, des perceptions fragmentaires ou autres du Réel capté. Alors, forcément, elle peut «corrompre» le peintre dans son élan d’imagination personnelle. Avant la photographie, il en fut de même dans le domaine de la gravure.
Mais, avec l’évolution de ces médiums, il n’y a pratiquement qu’un fil ténu entre eux et, donc, plus de frontières.
C’est la raison pour laquelle, le peintre doit peut- être quitter son chevalet, ses portraits à main levée et ses scènes pastorales. Il doit chercher ailleurs que ces temps de plus en plus révolus où les tableaux peints étaient accrochés aux cimaises des galeries. C’est ce qui se fait encore — et c’est légitime — par pure tradition et pour l’amour du Beau. Mais jusqu’à quand ?
Bady Ben Naceur

(Journal la Presse, le 26.09.2008)

Peinture et Photographie

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